par Jacques Blandenier
Elle
est née voilà 300 ans. A elle seule, elle incarne au sein du protestantisme
français la résistance à l’oppression et un plaidoyer extraordinaire pour la
liberté de conscience. Marie Durand a passé 38 ans en prison à cause de sa foi
dans la Tour de Constance, à Aigues-Mortes au sud de Nîmes. Découverte d’une
chrétienne hors du commun.
Elle
est née le 15 juillet 1711, 25 ans après la Révocation de l’Edit de Nantes par
Louis XIV, dans une famille huguenote d’un hameau ardéchois, le Bouchet de
Pranles. Elle avait huit ans lorsque sa mère fut arrêtée pour avoir reçu chez
elle un groupe de croyants après un rassemblement « au désert ». Elle ne la
revit jamais.
La
même année, le frère aîné de Marie, Pierre (1700-1732) fut consacré pasteur et
exerça un ministère clandestin itinérant. Marie vécut dès lors seule avec son
père Etienne Durand, qui fut arrêté à son tour en 1729. Il resta incarcéré 14
ans, alors que la justice n’avait rien à lui reprocher : en arrêtant le père,
l’Etat cherchait à faire pression sur le fils qui, malgré sa jeunesse, jouait
un rôle considérable au sein des Eglises persécutées. On imagine sa douleur et
le cas de conscience de Pierre. Au commandant militaire de la région, il
écrivit : « Mon père est innocent de ce
que je fais. C’est moi qui ai choisi cette voie, j'en connais les dangers et
les assume. Si mon Sauveur veut m'appeler Ă signer de mon sang son saint
Evangile, que sa volonté soit faite. » Il avertit le commandant militaire
que c'est devant le Juge souverain qu'il aura à répondre de ce crime contre la
justice. Quand Etienne fut relâché il avait quatre-vingt-six ans, c’était onze
ans après le martyre du fils à cause duquel il était emprisonné!
Quant
à Marie, elle ne devait plus jamais revoir son père non plus. Arrêtée un an
après lui et pour la même raison, cette jeune fille de 19 ans fut enfermée
pendant trente-huit ans Ă la Tour de Constance, dans les remparts de la ville
d'Aigues-Mortes, au sud de Nîmes. Elle trouva là vingt-cinq prisonnières,
presque toutes des protestantes, dont plusieurs de sa région, le Vivarais. Leur
nombre s'accrut par la suite.
Les
conditions de détention étaient cruelles : cohabitation dans une seule salle
sans aucune possibilité de s'isoler, air malsain des marais en été, moustiques
et paludisme, froid humide et courants d'air glacés en hiver. L'administration
ne fournissait que le pain et les paillasses. Alimentation et vĂŞtements
devaient être apportés par les Eglises. Quelques-unes (peu nombreuses) «
craquèrent » moralement et abjurèrent, certaines accouchèrent en détention et
élevèrent des enfants dont Marie fut la marraine. Parmi ces femmes, il y avait
des épouses de pasteur dont le mari était aux galères. Nombreuses furent celles
qui passèrent plus de vingt ans de leur vie dans la Tour de Constance. Pour la
plupart d'entre elles (il en défila un peu plus de deux cents), la mort fut «
la grande libératrice » !
L'âme de la résistance
Marie
Durand, bien que très jeune, prit rapidement de l'ascendant sur ses compagnes.
Ses nombreuses années de captivité et de souffrance ne firent que tremper sa
personnalité et sa foi dans les promesses de Dieu.
Elle
rassemblait chaque soir ses compagnes pour la lecture de la Bible, la prière et
le chant des psaumes. Elle soutenait celles qui étaient tentées de fléchir. La
dureté de l’administration judiciaire ne pouvait que rendre plus inflexible la
détermination de ces femmes. Sur une dalle de la salle est gravé le mot : «
REGISTER » c'est-à -dire « résister ») en patois vivarais. Attribué à Marie Durand, ce terme
illustre bien quel fut son combat. Trente-huit ans enfermée, toute sa vie
d'adulte, alors qu'un seul mot d’abjuration aurait suffi pour être libre !
La
véritable liberté de Marie Durand et de ses compagnes fut de ne pas céder à la
pression de la persécution. Car c’est en se soumettant au roi pour sortir de
prison qu’elles auraient perdu leur véritable liberté. Elles étaient portées
par la volonté de témoigner que les huguenots exigeaient, quel que soit le
prix, la liberté de conscience, le droit de lire la Bible et de célébrer dans
leurs cultes le Dieu qui les avait sauvés par grâce.
Les lettres de Marie Durand
La
correspondance de Marie Durand est abondante. Elles révèlent un style et une
culture Ă©tonnants, acquis avant tout par la lecture des Ecritures. Certaines
sont adressées aux autorités pour plaider au nom de la justice, d’autres aux
anciens et aux Eglises pour leur rappeler leur responsabilité : « Nous sommes
le corps de Christ dans la souffrance, ne nous oubliez pas ! » Enfin, les
lettres les plus rĂ©vĂ©latrices du caractère et de la foi de Marie sont celles Ă
sa nièce, Anne, seule survivante des trois enfants du pasteur martyr Pierre
Durand.
Les
lettres de Marie Durand, tout imprégnées de la Bible, expriment parfois sa
tristesse, ou du moins une gravité certaine, mais jamais d’hésitation :
soumission au Dieu souverain, quelles que soient les circonstances et les
souffrances qu'il faut endurer. Mais plus encore : confiance dans ce Dieu fort
et fidèle, dont les promesses sont éternelles. Enfin, exemple de Jésus-Christ,
le Souffrant, tout proche de la souffrance de ses témoins, lui qui mourut crucifié sans
révolte, par amour et dans une pleine adhésion à la volonté du Père. La
doctrine calviniste de la prédestination enseignée dans leurs Eglises a sans
doute donné à ces croyantes une fermeté que n'aurait pas connue une foi basée
sur des expériences et des émotions.
Après trente-huit ans, la libération,
enfin !
Avec
les années qui passaient, les idées de tolérance faisaient leur chemin en
France. Des voix de plus en plus nombreuses, y compris parmi des catholiques
haut-placés, dénonçaient le scandale des prisonnières de la Tour de Constance.
Finalement, un nouveau commandant militaire du Languedoc, le prince de Beauvau,
catholique à l'esprit éclairé, entreprit les démarches pour obtenir la
libération des prisonnières, sans exiger repentance ou abjuration. S'étant
rendu à la Tour en 1767, il fut si bouleversé par ce qu'il vit qu'il s'engagea
à les faire libérer coûte que coûte et au plus vite. Il faut dire qu'en raison
de l'évolution du climat idéologique, aucune nouvelle prisonnière n’avait été
incarcérée depuis une dizaine d’années. Celles qui étaient là étaient donc
toutes marquées par un très long séjour.
Marie
Durand sortit de prison en 1768. Entrée à l’âge de dix-neuf ans, elle en sortit
âgée de cinquante-sept. Sa maison du Bouchet-de-Pranles, inoccupée pendant si
longtemps, était délabrée et le verger à l'abandon. Elle-même était vieillie et
percluse. Elle n'avait plus la force de cultiver les terres familiales et n'avait
que quelques chèvres à garder. Elle reçut jusqu'à sa mort une très petite rente
de l'Eglise wallonne d'Amsterdam, qui lui permit de survivre.
Une
compagne de captivité vint vivre avec elle. Deux fois par année, elle se
traînait aux Assemblées comme elle pouvait – ce furent les dernières « au
désert » avant la liberté retrouvée. Mais sa vie de prière et sa foi restèrent
intactes selon le témoignage de ceux qui la connurent alors.
Elle
s'est éteinte huit ans après sa libération, âgée de soixante-cinq ans, en 1776,
onze ans avant l’Edit de Tolérance.
Un message pour les chrétiens
Il
ne s'agit pas de s’adonner au culte des martyrs. Mais d’être attentif à un
enseignement qui vaut bien des cours de dogmatique. La fidèle persévérance de
ces femmes nous édifie et nous bouscule. Le prix qu'elles ont payé pour
demeurer fermes dans la foi indique combien cette foi avait de valeur pour
elles, et relativise l’importance de ce qui paraĂ®t parfois indispensable Ă
notre bonheur.
Dans
cette dernière partie du XVIIIe siècle, au moment où bouillonnaient les idées
qui conduisirent Ă la RĂ©volution
française, des faits tels que l'emprisonnement inhumain des femmes de la Tour
de Constance ont contribué à frapper les esprits et à montrer à quel point
l'intolérance est un crime contre l'humanité. L'humble et inflexible fidélité
de Marie Durand et de ses compagnes anonymes a peut-ĂŞtre autant fait pour
l'avènement de la liberté religieuse que les pamphlets des philosophes. Dans
leur faiblesse, elles ont montré ce qu'est la force véritable (cf. 2
Corinthiens 11) ; elles ont posé aux puissants un problème insoluble,
démontrant sans discours la dignité irréductible de la personne créée à l'image
de Dieu, dont l'âme ne peut être domptée par les chaînes et la violence.
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Source :
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