L’image
qu’on découvre ici est une vue d’architecte, et concerne le projet (en cours de
construction) de la Sky City Tower («la tour de la ville céleste») : un édifice
de grande élévation dont le chantier a débuté le 22 juillet 2013 dans la ville
de Changsha, en Chine. Elle mesurera 838 mètres de hauteur, soit 10 mètres de
plus que la tour Burj Khalifa de Dubaï, qui détient actuellement le record.
La
Sky City Tower deviendra donc la plus haute tour du monde. Sa construction
devait durer 210 jours seulement (du fait qu’elle est un assemblage d’éléments
préfabriqués), mais le départ des travaux d’assemblage a été différé, pour
finalement débuter en avril 2014. Son coût est estimé à 628 millions de
dollars. Elle comptera 220 étages, 104 ascenseurs et sa superficie sera de 1
000 000 m2, pour une capacité d’accueil de plus de 100 000 personnes. Une
véritable ville à la verticale, un reflet assez proche de la description du
texte biblique bien connu qui parle de la tour de Babel :
«Comme
ils étaient partis de l’orient, ils trouvèrent une plaine au pays de Schinear,
et ils y habitèrent. Ils se dirent l’un à l’autre: … Allons! bâtissons-nous une
ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin
que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre» (Genèse 11/2).
Mais
tandis que la tour chinoise n’est pas encore achevée, voilà que dans un autre
coin du globe, une nouvelle équipe de conquérants de l’inutile renchérit :
c’est l’Arabie Saoudite qui a fini par lancer son projet (longtemps différé) de
la Kingdom Tower («la tour du royaume»), dont la construction hors-terre a
commencé en 2014 (elle aussi). Jeddah est donc en lice pour arracher le record
mondial de hauteur …
Il
faudra (paraît-il) 63 mois de travaux, 80 000 tonnes d’acier, 500 millions de
m3 de béton pour dresser les 200 étages (dont 160 habitables), avec 59
ascenseurs, pour un coût estimé à 1,23 milliards de dollars. La construction de
l’ouvrage a été confiée à une des grandes entreprises de BTP du pays : le Ben
Laden Group [1] : ça ne s’invente pas ! …
L’ensemble
des moyens incroyables qui sont consacrés à ces projets vont permettre
d’atteindre une altitude de 1 kilomètre (1001m exactement), c’est-à -dire à un
niveau jamais égalé par une construction faite de main d’homme.
Avoir le ciel pour demeure
Il
existe encore d’autres projets du même type, comme celui de la Bionic Tower de
Shangaï (1228m, 300 étages), ou celui de la tour X-Seed 4000, prévue à Tokyo,
qui devrait culminer à … 4 000 mètres de haut (!) et faire face au mont Fuji,
la plus haute montagne du Japon, en le dépassant de plus de 200 mètres. Le
projet architectural ambitieux consisterait à faire reposer l’édifice
monumental sur une base de 6,5 km de diamètre implantée dans l’océan, au large
de la capitale japonaise. Elle possèdera 800 étages et abritera jusqu’à 1,6
million de personnes. Une ville à elle toute seule. Le coût de sa construction,
encore au stade imaginaire, était évalué en 2006 à un maximum de 900 milliards
de dollars américains.
L'érection de tours gigantesques
précède souvent des temps de crises économiques
Une
étude de la banque Barclays a relevé que l’apogée de la construction de
gratte-ciels coïncidait souvent avec une période de crise économique, parfois
majeure. Ainsi l’achèvement de la construction de l’Empire State Building et du
Chrysler Building en 1930/1931 a coïncidé avec la grande crise économique des
années 1930. L’achèvement des tours du World Trade Center et de la Willis Tower
aux États-Unis en 1973/1974 a coïncidé avec le début de la grande crise
économique des années 1970. La fin de la construction des Tours Petronas en
Malaisie et de la Baiyoke Tower II en ThaĂŻlande en 1997, plus hautes tours de
ces pays et de la région, a coïncidé avec le début de la crise économique
asiatique de 1997. Enfin, la construction de la plus haute tour du monde Ă
Dubaï en 2010 a coïncidé, à un mois près, avec une grave crise économique dans
la ville-État.[2]
Pourquoi cette frénésie de
constructions vertigineuses ?
La
fascination de la construction et de son record devient pour les hommes
l’absolu du sens, d’après Silvano Petrosino [4]. Sa réflexion sur la tour de
Babel contient des accents très contemporains : « Plus rien ne compte que cette
activité affairée et répétitive, rebelle à tout questionnement, qui empile,
ajuste et imbrique indéfiniment les unes sur les autres les éléments de
l’édifice … à partir de la brique, élément trop parfait d’un monde où tout
s’ajuste, la ville se fait Tour, elle tend à s’élever comme une sorte de
forteresse imprenable, invulnérable à quelque altérité que ce soit. Le travail
et la parole, les bâtisseurs et leur(s) édifice(s), les ressources naturelles,
l’exister humain et l’ouverture au divin : tout tend ici à se confondre dans
une même idéologie idolâtrique de «l’organisation totale?[5]».
Les
raisons avancées pour justifier l’existence de ces tours, depuis les années 30,
époque de la naissance du concept de gratte-ciel, étaient en relation avec la
nécessité de repenser la ville, de chercher des moyens d’optimiser l’espace,
d’apporter une réponse rationnelle à la croissance urbaine.
Mais
pour Jean-Marie Huriot[6], les arguments généralement utilisés servent de
paravent au puissant contenu symbolique de l’architecture verticale. Les tours
affichent (en réalité) une richesse, une réussite, une force, un pouvoir, vrais
ou prétendus. Les tours symbolisent le pouvoir. Elles sont l’émanation d’un
pouvoir qui veut s’affirmer. Elles ont une forte puissance symbolique de réussite,
de richesse, de développement, de position dominante dans l’échiquier politique
ou économique du monde. La véritable motivation, connue mais inavouable, est
tout simplement celle du symbole de la richesse, du pouvoir économique et
financier, dans la logique concurrentielle d’un néo-capitalisme mondial
essoufflé. La hauteur, c’est le sommet d’une hiérarchie, c’est donc aussi le
symbole du commandement. Plus haute est la tour, mieux elle symbolise le
pouvoir »[7].
La rencontre de deux pouvoirs :
l’élévation et l’abaissement
Comment
ne pas citer la Bible ? « l’élévation/l’orgueil va au-devant la chute, et
l’esprit hautain précède la ruine » (Proverbes 16/18), «Avant la ruine, le
coeur de l’homme s’élève » (18/12).
La
course effrénée qui consiste, pour les nations et les puissances, à se mesurer
et arracher une reconnaissance mutuelle par l’affirmation de leur domination,
est une émanation de ce qui se trouve dans le cœur humain, dans son état
naturel, depuis la Chute. C’est un des symptômes de son insécurité profonde,
depuis qu’il a perdu sa place originelle, en Eden : l’humanité vivait dans un
jardin où se trouvait la Vie, et elle s’est transplantée dans des villes,
qu’elle tente aujourd’hui d’élever vers le ciel.
Les
créatures privées de Dieu cherchent à se valoriser les unes par rapport aux
autres, recevant la gloire les unes des autres[8], tournées les unes vers les
autres, plutôt que tournées vers le Créateur, ce qui les lie toujours plus
étroitement au terrestre, et leur ferme l’accès au céleste : «Ainsi parle
l’Eternel: Maudit soit l’homme qui se confie dans l’homme, qui prend la chair
pour son appui, et qui détourne son coeur de l’Eternel!» (Jérémie 17/5).
Mais
nous devons nous garder, nous, croyants, de nous estimer au-dessus de ces
comportements orgueilleux, alors que nous possédons en réalité le même logiciel
naturel, qui peut parfois s’exprimer jusque dans la sphère chrétienne, voire
même jusque dans le service de Dieu : « ils discutaient pour savoir qui était
le plus grand »[9]. Cette tentation, inhérente à la condition humaine, nous
place sans cesse dans une perspective qui consiste d’abord à se chercher
soi-même (à s’élever) plutôt que Dieu, faisant tout ce qui est possible pour
devenir le centre, pour détenir la mesure de toutes choses. Et le Saint-Esprit
en nous cherche tout autre chose. C’est à cet endroit déterminant et
stratégique qu’a lieu le combat spirituel le plus crucial, pour chacun d’entre
nous.
C’est
une question de mentalité, renouvelée ou pas, une nouvelle manière de marcher
sur un nouveau chemin, sur lequel se distingueront les disciples et leur
maturité : tandis que nous voyons
partout, en tout lieu, les hommes chercher à s’élever, travaillant
inlassablement à leur propre gloire, préoccupés par leur place, Dieu travaille
par Son Esprit le cœur des disciples, par l’influence de l’Esprit du Fils en
eux, pour les conduire dans une autre logique, une autre dynamique : «c’est
l’humilité (par l’humiliation acceptée), qui précède la gloire … » (Prov.
15/33).
Il
existe donc deux mouvements opposés, l’un de pensée, l’autre d’Esprit, tels
deux ascenseurs qui se croisent : le premier vise à s’élever, à monter, mû par
tout ce que la logique humaine, la sagesse humaine, peut contenir, … et il ne
va pas vers la gloire et la réussite escomptée; et le second descend, se plie
dans un abaissement accepté, volontaire, qui précèdera la gloire … Non pas un
abaissement mystique, religieux, mais une unité de cœur avec Christ, une unité
de caractère, en recherchant premièrement les intérêts du royaume de Dieu (… et
sa justice[10]), tandis que l’homme naturel (l’homme charnel) ne cherche que
son intérêt propre [11].
Conclusion
En
dressant des tours de plus en plus hautes, en élevant des villes au-dessus de
la terre, jusque dans le ciel, la société des hommes sans-Dieu ne démontre pas
seulement une volonté d’affirmation du pouvoir humain, de domination et de
contrĂ´le.
Mais cette attitude trahit également l’attente inconsciente d’une
cité céleste (une «sky city», comme l’évoque le nom de la tour chinoise), que
les hommes cherchent à élever eux-mêmes, …
Alors que la véritable espérance
prophétique attend une cité, qui, au contraire DESCEND du ciel.
Apocalypse
21:10
«Et il me transporta en esprit sur une grande
et haute montagne. Et il me montra la ville sainte, Jérusalem, qui descendait
du ciel d’auprès de Dieu …»
Et
c’est justement à un moment de l’Histoire de l’humanité où les hommes
contestent et renversent tout ce qui vient du ciel (la loi morale,
l’inspiration divine, la vérité absolue), qu’il devient nécessaire qu’une
nouvelle cité vienne d’En-Haut, Jérusalem, une «ville de paix» — c’est le sens
du nom «Jérusalem» — image d’une nouvelle société au cœur de laquelle le
Créateur occupe la place qui lui revient.
Apocalypse
21/22
«
Je ne vis point de temple dans la ville;
car le Seigneur Dieu tout-puissant est son temple, ainsi que l’Agneau. La ville
n’a besoin ni du soleil ni de la lune pour l’éclairer; car la gloire de Dieu
l’éclaire, et l’Agneau est son flambeau. Les nations marcheront à sa lumière,
et les rois de la terre y apporteront leur gloire. Ses portes ne se fermeront
point le jour, car là il n’y aura point de nuit. On y apportera la gloire et
l’honneur des nations. Il n’entrera chez elle rien de souillé, ni personne qui
se livre à l’abomination et au mensonge; il n’entrera que ceux qui sont écrits
dans le livre de vie de l’Agneau.»
JPrekel©www.lesarment.com
————————————————————–
[1]fondée
par le père d’Oussama ben Laden
[2]
http://fr.wikipedia.org/wiki/Gratte-ciel
[3]
http://fr.wikipedia.org/wiki/Complexe_de_Napoléon
[4]Professeur
à l’université catholique de Milan, où il enseigne la sémiotique et la
philosophie morale.
[5]Babel,
Architecture, philosophie et langage d’un délire, (Le Félin-Kiron, 2010).
[6]
Jean-Marie Huriot est professeur émérite en économie à l’université de
Bourgogne.
[7]
«Les tours du pouvoir»
(http://www.metropolitiques.eu/Les-tours-du-pouvoir.html)
[8]
Jean 5/44 : «Comment pouvez-vous croire, vous qui tirez votre gloire les uns
des autres, et qui ne cherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ?»
[9]
Luc 22/24
[10]
Matthieu 6/33 : «Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu; et toutes
ces choses vous seront données par-dessus».
[11]
Philippiens 2/21 : « …tous, en effet, cherchent leurs propres intérêts, et non
ceux de Jésus-Christ».