Les enfants du
califat : comment l’Etat islamique est en train de soulever une armée de petits
soldats
Et pourquoi l'Occident pourrait bien avoir Ă les combattre pendant
plusieurs générations.
A
Racca, le fief syrien de l’Etat islamique, ils sont aux premiers rangs lors des
crucifixions et des décapitations publiques. On se sert de leur sang pour
transfuser les combattants de l'EI blessés. On les paye pour dénoncer les
infidèles ou ceux qui critiquent l'EI. On les forme à devenir des kamikazes. Ce
sont des enfants, âgés pour certains d'à peine 6 ans, que l’Etat islamique
transforme en soldats du futur.
Pour
recruter des enfants, l’Etat islamique a mis au point un système complet et
extrêmement bien organisé, qui vise à les endoctriner avec les croyances extrémistes
du groupe, avant de leur apprendre des techniques rudimentaires de combat. Les
djihadistes se préparent à une longue guerre contre l'Occident et espèrent que
les jeunes soldats formés aujourd'hui seront toujours au front dans plusieurs
années.
Des maltraitances infantiles Ă Ă©chelle industrielle
Si
aucun chiffre ne permet de dire avec précision combien d'enfants sont
concernés, des témoignages de réfugiés et des données collectées par les
Nations unies, des groupes de défense des droits de l'Homme et des journalistes
laissent entendre que l'endoctrinement et l'entraînement militaire des enfants
est un phénomène considérable.
Des camps d'entraînement
A
l'ONU, devant un petit parterre de journalistes, Ĺ imonović a expliquĂ© que les djihadistes«sĂ©duisaient» les plus
jeunes et qu'ils étaient passés maîtres dans la «manipulation des jeunes hommes et des
enfants». Avant d'ajouter qu'«ils donnent une impression de puissance et de triomphe»,
tout en promettant à ceux qui tomberont au combat un «accès direct au paradis».
«Pour moi, a-t-il
poursuivi, le plus saisissant est de rencontrer des mères [qui nous disent]
“nous ne savons pas quoi faire. Nos fils se portent volontaires et nous ne
pouvons pas les en empêcher”.»
En
Irak ou en Syrie, les garçons qui, sur les lignes de front, sont enlevés par
l'EI ou le rejoignent volontairement, sont envoyés dans divers camps
d'entraînement religieux ou militaire en fonction de leur âge. Dans ces camps,
tout leur est inculqué, de l'interprétation que fait l'EI de la charia au
maniement d'une arme à feu. On leur apprend même à décapiter un autre être
humain en leur donnant des poupées sur lesquelles s'exercer, selon les
informations que révélait en septembre Syria Deeply, un site dédié à la guerre
civile syrienne.
Les
enfants sont aussi directement envoyés sur les champs de bataille, où ils sont
utilisés comme boucliers humains ou comme réserves de sang pour les
transfusions des blessés de l'EI, selon Shelly Whitman, directrice exécutive de
la Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative, une association qui se bat pour
mettre fin au phénomène des enfants soldats.
Un nombre en augmentation
Des
témoignages venant des villes irakiennes de Mossoul et de Tall Afar, et
recueillis par des enquĂŞteurs des Nations unies, font part de jeunes enfants
armés de fusils qu'ils peuvent à peine porter et vêtus de l'uniforme de l’Etat
islamique. Des enfants menant des patrouilles de rue et arrĂŞtant les habitants.
Au
sein de l'ONU, des experts des droits de l'Homme ont aussi «reçu des
informations confirmées faisant part d'enfants d'à peine 12 ou 13 ans suivant
des entraînements militaires organisés par l'EI à Mossoul», peut-on lire dans
un rapport conjoint du Bureau du haut commissariat aux droits de l'Homme et du
Bureau des droits de l'Homme de la Mission d'assistance des Nations unies en
Irak.
Selon
le rapport, le nombre de jeunes garçons tenant des barrages routiers a «dramatiquement
augmenté» durant la dernière semaine d'août autour d'al-Sharqat, dans la
province de Salâh ad-Dîn. Et dans les plaines de Ninive et de Makhmour, un
grand nombre d'adolescents a été recruté en août par des soldats de l'EI. Certains de ces
garçons auraient été «forcés à se mettre en première ligne pour protéger les soldats
de l'EI pendant l'offensive, et obligés de donner leur sang pour soigner les
blessés», toujours selon le rapport.
Abou
Ibrahim Raccaoui, le pseudonyme d'un homme de 22 ans qui vivait encore en Syrie
il y a un mois, est le fondateur de Racca se fait massacrer en silence. Sur
Twitter et Facebook, son collectif rend compte de la violence de la vie
quotidienne Ă Racca, la ville oĂą il a grandi. En plus de Raccaoui et de trois
autres personnes qui ont désormais quitté la Syrie, 12 individus vivant
toujours à Racca collaborent régulièrement au site, en envoyant des images et
des informations sur ce qui se passe dans la ville.
Des garçons de 8 ans à l'entraînement
Interviewé
par Skype, Raccaoui nous explique que l’Etat islamique est monté d'un cran dans
son programme de recrutement des jeunes et dispose désormais d'un camp
d'entraînement spécifiquement conçu pour les enfants et les adolescents, où on
leur apprend des techniques de combat.
Il
explique que des jeunes de Racca sont rapidement formés, puis envoyés sur le
front de Kobané, la ville de la frontière turco-syrienne où l’Etat islamique se
heurte depuis maintenant plusieurs semaines aux soldats kurdes, dans des
combats d'une extrĂŞme violence. Autour de la ville, les Etats-Unis et la
coalition ont mené plus de 135 frappes aériennes contre les combattants de
l’Etat islamique, tuant des centaines de djihadistes.
A
Racca, où la misère est endémique après plus de trois ans de guerre, le groupe
persuade souvent les parents d'envoyer leurs enfants dans ses camps
d'entraînement en échange d'argent, explique Raccaoui. Parfois, l'EI attire
directement les enfants en organisant des fêtes ou des démonstrations
militaires, et leur donne de l'argent pour qu'ils participent aux
entraînements. A Racca, avec toutes les écoles fermées, les enfants n'ont pas
grand-chose d'autre Ă faire, commente Raccaoui.
Dans
la province de Racca, on dénombre plusieurs camps d'entraînement de jeunes –le
camp al-Zarqaoui, le camp Oussama ben Laden, le camp al-Cherkrak, le camp
al-Taleea et le camp al-Sharea. Dans le le camp al-Sharea, Raccaoui estime
entre 250 et 300 le nombre d'enfants à être enrôlés, sachant que ce camp ne
reçoit que des jeunes de moins de 16 ans.
Raccaoui
nous a montré des images de ces enfants. On peut y voir de jeunes garçons assis
en train de manger. Sur une autre photo, un jeune sourit: il vient de terminer
une course d'obstacles.
Quand
il y a une grande bataille à mener, comme celle de Kobané, explique Raccaoui,
l'entraînement s'intensifie. En Irak, plusieurs faits attestent d'enfants
obligés de suivre un entraînement militaire. Fred Abrahams, conseiller spécial
pour l'ONG Human Rights Watch, a interviewĂ© des Yazidis d'Irak qui ont rĂ©ussi Ă
s'enfuir des prisons de l’Etat islamique. Ils disent avoir vu des combattants de
l'EI enlever des enfants Ă leurs parents pour les emmener dans des camps
d'endoctrinement religieux ou d'entraînement militaire.
Dans
une base militaire de Sinjar conquise par l'EI, un de ces Yazidis dit avoir vu
ses geôliers isoler 14 garçons, âgés de 8 ans à 12 ans, pour les emmener se
former au djihadisme.
Cet
été, Vice News publiait un extraordinaire reportage sur l’Etat islamique, sous
la forme d'un documentaire en cinq parties détaillant le quotidien des villes
tombées dans l’escarcelle du groupe. La seconde partie est spécifiquement
dédiée à la manière dont l'EI prépare son avenir avec le dressage des enfants.
Les enfants
servent de propagande sur les réseaux
«Nous croyons que cette génération d'enfants
est la génération du califat, si Dieu le veut, cette génération combattra les
infidèles et les apostats, les Américains et leurs alliés», disait un homme
dans la vidéo de Vice. Le reportage montre aussi un garçon de 9 ans affirmer
qu'il ira dans un camp après le Ramadan pour y apprendre comment utiliser une
Kalachnikov.
Un
porte-parole de l’Etat islamique a précisé aux journalistes de Vice que les
enfants de moins de 15 ans vont dans les camps de charia pour apprendre la
religion, mais que ceux au-dessus de 16 ans vont dans les camps militaires.
Les
officiers de l’Etat islamique chargés de la communication sur les réseaux
sociaux recrutent aussi des gens du monde entier et les persuadent de faire le
voyage jusqu'en Syrie ou en Irak pour rejoindre le groupe.
Une
partie de cette stratégie implique d'utiliser des enfants comme outils de
propagande, en postant des photos sur les réseaux sociaux, où on en voit porter
les uniformes de l’Etat islamique et marcher aux côtés de combattants adultes.
«A la mi-août, l'EI a fait irruption dans
un centre d'oncologie pédiatrique d'un hôpital de Mossoul et a forcé au moins
deux enfants malades Ă brandir le drapeau de l'organisation, avant de poster
les photos sur Internet», détaille le rapport de l'ONU.
L’Etat islamique a
détruit leur enfance, il a détruit leur cœur.
Sur
Internet, le recrutement de l’Etat islamique a été des plus efficaces, avec
plus de 3.000Européens partis faire le djihad. Selon le FBI, seule une petite
dizaine d’Américains aurait rejoint le groupe, mais l'agence admet qu'ils
pourraient ĂŞtre plus nombreux.
Fin
octobre, trois lycéennes originaires du Colorado ont été arrêtées à Francfort,
alors qu'elles cherchaient visiblement à rejoindre l’Etat islamique en Syrie.
Les jeunes filles se seraient radicalisées sur Internet.
La
vidéo de Vice News montre un Belge arrivé à Racca avec son fils, qui semble
avoir entre 6 et 7 ans.
Le
père pousse son fils à dire à la caméra qu'il est de l’Etat islamique, et pas
de Belgique. Il lui demande ensuite s'il veut ĂŞtre djihadiste ou kamikaze, le
garçonnet répond«djihadiste».
Raccaoui
explique que lorsqu'il vivait encore à Racca, il lui est arrivé de croiser une
famille composée d'une femme américaine, d'un mari algérien et de leur fille,
qui semblait avoir dans les 4 ans.
Il
dit avoir aussi vu un combattant français avec deux enfants: un garçon aux
cheveux blonds, qui avait sans doute 6 ans, et une fille encore bébé, d'environ
1 an.
«Dans la ville, nous croisons beaucoup de
combattants étrangers, c'est très choquant», commente-t-il.
En Syrie et en Irak, les enfants ne
sont pas simplement radicalisĂ©s, mais ils sont aussi quotidiennement exposĂ©s Ă
un niveau de violence extrĂŞme.
Raccaoui
nous a fournit des photos prises quand il habitait encore la ville. On y voit
des enfants assistant Ă des crucifixions publiques. Selon lui, les enfants sont
tellement habitués à regarder de telles exécutions, que la vue d'une tête se
détachant d'un corps humain ne leur fait plus aucun effet.
«L’Etat islamique a détruit leur
enfance, il a détruit leur cœur.»
Misty
Buswell, officier de plaidoyer pour la région Moyen-Orient de l'ONG Save the
Children et basée en Jordanie, déclare:
«Ce n'est pas
exagéré de dire que nous pourrions perdre toute une génération d'enfants au
profit du traumatisme.»
Selon
Buswell, les enfants réfugiés qu'elle a rencontrés sont sujets à des
cauchemars, ils Ă©vitent les contacts avec leurs camarades et manifestent des
signes d’agressivité à l'encontre d'autres enfants.
«J'ai vu des
enfants qui avaient arrêté de parler, ou qui ne parlaient plus depuis des mois
à cause des choses terribles dont ils ont été témoins, ajoute Buswell.
Et là , il s'agit des plus chanceux, ceux qui ont réussi à traverser la
frontière.»
Elle
poursuit:
«Avec du temps et
des interventions adéquates, on peut aider ces enfants à recouvrer quelque
chose s'apparentant Ă une vie normale. Mais pour les enfants qui sont toujours
sur le terrain, et qui assistent quotidiennement à de telles atrocités, les
effets à long terme seront bien plus conséquents.»
Buswell
précise que les réfugiés envisagent presque toujours de revenir chez eux une
fois la situation stabilisée et la paix revenue.
Mais,
il y a quelques semaines, quand elle a posé la question du retour à des
réfugiés de Sinjar, leur réponse l'a stupéfiée.
«C'est l'une des
premières fois dans ma carrière où j'ai entendu des gens me dire que ce qu'ils
avaient vu et vécu était si horrible et traumatisant –autant de choses dont
leurs enfants ont aussi été les témoins– qu'ils ne voulaient pas retourner chez
eux. Ils y ont trop de mauvais souvenirs.»
Kate
Brannen
Source : http://www.slate.fr/story/94173/etat-islamique-enfants
Source :
www.alliances-delivrances.com