«Je te conseille d’acheter de moi … un
collyre pour oindre tes yeux, afin que tu voies.» (Apocalypse 3/18)
Quelle sorte de «collyre» peut-on
«acheter» qui pourrait nous «ouvrir les yeux» ? Le verset précédent dit : «car
tu ne sais pas que tu es … aveugle».
Parmi toutes les choses qui peuvent
ouvrir les yeux d’un homme, il semble bien que la souffrance effectue un
travail irremplaçable dans l’âme. Bien sûr la révélation vient de manières très
diverses, pas obligatoirement par le biais d’expériences douloureuses, mais le
livre des Proverbes dit cependant : «
Les meurtrissures et les plaies nettoient le mal, et les coups, les profondeurs
de l’âme» (20/30). Il est
vraisemblable qu’on parle ici de l’âme rebelle, c’est à dire la nature de
l’Homme.
La «souffrance» ouvre donc les yeux,
qui sont «la lampe du corps»[1]; c’est une image de l’entendement : «et qu’il illumine les yeux de
votre coeur, pour que vous sachiez quelle est l’espérance qui s’attache à son
appel, quelle est la richesse de la gloire de son héritage qu’il réserve aux
saints» (Ephésiens 1/18).
Nous avons besoin de «voir»
spirituellement, à défaut de quoi nous sommes «aveugles» selon la terminologie
biblique. La vision primaire, naturelle, ne permet pas de «voir» les réalités
spirituelles. La lumière de l’Esprit est donc nĂ©cessaire. Mais le message Ă
Laodicée ne met pas l’accent sur un manque de la lumière divine, mais un
aveuglement de l’Homme. Le fait de «voir» est ici subordonné à des notions de
coût et de volonté : «acheter ».
Ce message à Laodicée, qui conseille
aux chrétiens d’acheter un collyre pour nettoyer leur vision spirituelle fait
référence à l’acceptation d’une forme de souffrance volontaire inhérente à la
marche avec Dieu et qu’il nous appartient d’accepter : «prends part aux souffrances de
l’évangile» (2 Tim. 1/8);
l’apôtre insistant auprès du jeune disciple : «souffre
avec moi, comme un bon soldat de Jésus-Christ» (2 Tim. 2/3). Le mot «souffrance»
demande à être explicité : il véhicule ici l’idée (simple) d’accepter les
contraintes induites par l’engagement de suivre Jésus. Elles étaient d’une
certaine nature à l’époque de Paul. Elles sont d’une autre nature aujourd’hui.
Parce que la souffrance (ou pour le dire autrement, les tribulations, voire les
persécutions) est liée au fait de porter le nom et le fardeau de Christ : «Or, TOUS CEUX qui veulent vivre
pieusement en Jésus-Christ seront persécutés» (2 Timothée 3/12), et aussi : « Il fortifiait l’esprit des
disciples, les exhortant à persévérer dans la foi, et disant que c’est par
beaucoup de tribulations qu’il nous faut entrer dans le royaume de Dieu» (Actes 14/22). Ce sont des paroles
très fortes.
Paul ne parle pas de masochisme, et il
ne fait pas allusion non plus à une piété mystique, abstraite, coupée du réel,
telle qu’elle sera développée par les stylites[2] par
exemple. Il ne réduit pas le christianisme à une vie négative. Il ne parle pas
non plus de désordres spirituels, de déséquilibres religieux, de névrose de
l’âme, toutes choses qui ont été et qui seront peut-être encore démontrées par
les hommes qui tordent le sens de la pensée[3]. Il ne parle pas d’œuvres mortes, ou de tentatives
d’acheter son salut, ou encore de mériter l’amour de Dieu. Mais il se fait
l’écho d’un leitmotiv qui avertit les enfants de Dieu qu’en choisissant le
Christ, le roi rejeté et persécuté, ils s’exposeront à entrer premièrement en
contradiction avec leur propre volonté, avec leur propre nature, avec leurs
propres désirs, leurs ambitions et leurs intérêts personnels. C’est pour ainsi
dire le premier étage de la souffrance – réelle – dont parle Paul à Timothée.
C’est ce que les Écritures appellent marcher sur le même chemin de Lui : « Et c’est à cela que vous avez
été appelés, parce que Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un
exemple, afin que vous suiviez ses traces» (1
Pierre 2/21).
Rappel sur le
contexte Laodicéen
Le temps de Laodicée semble être un
temps de refus de l’engagement entier. C’est le temps de l’engagement partiel,
de faire les choses à moitié, de s’arrêter au milieu du gué, de commencer … et
de ne pas finir. Les tensions environnantes sont sans doute fortes, les valeurs
de cette église sont sans doute mises à l’épreuve, et les tentations d’établir
des compromis avec les exigences de «l’engagement chrétien» l’environnent si
facilement que cette église s’est arrêtée à mi-chemin.
Pour elle, une demi-victoire vaut
mieux qu’une défaite, mais pour Jésus, cette condition spirituelle ne peut
finir que comme un Ă©chec. Parce que cet Ă©tat de demi-victoire ne permettra pas
de résister à la tentation de devenir «amis de l’argent» (matérialistes), «amis
des plaisirs» (consuméristes) et donc de la FACILITÉ…
Elle connaît les enseignements qui
l’appellent à marcher de progrès en progrès, en expérimentant une abondance de la
vie de Dieu : « à cause de
cela mĂŞme, faites tous vos efforts pour joindre Ă votre foi la vertu, Ă la
vertu la connaissance; et à la connaissance, la tempérance; et à la tempérance,
la patience; et à la patience, la piété; et à la piété, l’affection fraternelle,
et à l’affection fraternelle, l’amour; Car
si ces choses sont en vous, et y sont avec abondance, elles ne vous
laisseront point oisifs ni stériles pour la connaissance de notre Seigneur
JĂ©sus-Christ» (2 Pierre 1/5 Ă
8). Mais elle se contente du niveau qu’elle estime acceptable, croyant
maintenir un certain niveau spirituel mais s’inscrivant en réalité dans un
processus régressif qui conduira inéluctablement à son aveuglement : «Mais
celui en qui ces choses ne sont point est aveugle, il ne voit pas de loin, et il a mis en oubli la
purification de ses anciens péchés» (2
Pierre 1/9).
Si Jésus demande — exige — que le
disciple qui veut Le suivre abandonne sa vie, c’est parce qu’Il sait qu’Il ne
pourra pas investir un cœur n’ayant pas accepté la perte de la vie (se
dépouiller du vieil homme qui se corrompt). Ce n’est que dans ce chemin-là que
Christ peut être GAGNÉ : «Et
même je regarde toutes choses comme une perte, à cause de l’excellence de la
connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur, pour lequel j’ai renoncé à tout, et
je les regarde comme de la boue, afin de gagner Christ» … «mais
je fais une chose: oubliant les choses qui sont derrière et tendant avec effort
vers celles qui sont devant, je cours droit au but pour le prix de l’appel
céleste de Dieu dans le Christ Jésus» (Philippiens
3/8 et 14).
C’EST DANS CE CHEMIN-LÀ enfin, et
grâce aux souffrances, que les yeux du cœur reçoivent un collyre qui purifie la
vision. Et la profondeur de cette vision, sa hauteur, sa longueur et sa
largeur, dépendent entièrement de l’engagement, de l’acceptation pleine et
entière de toutes les perspectives, y compris la souffrance.
Nous ne devons donc pas Ă©carter les
expériences chrétiennes qui peuvent éventuellement générer des contraintes, des
contrariétés, des efforts, des sacrifices, des privations, etc. Car ce sont des
«souffrances» qui sont liées à toutes formes de projets et de services :
pourquoi l’évangile devrait-il en être exempt ? Paul dit que l’athlète s’impose
une discipline pour remporter le prix et que le soldat qui s’enrôle ne
s’embarasse pas des affaires de la vie[4].
En tout temps, il a été nécessaire, pour
l’Esprit, de rappeler aux chrétiens ces principes. À combien plus forte raison
Il les rappelle à l’église de Laodicée, et ils peuvent nous parler, encore
aujourd’hui.
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[1] Matthieu 6/22 : «La lampe du corps, c’est
l’oeil; si donc ton oeil est simple, en bon état, ton corps tout entier sera
plein de lumière»
[2] Les stylites (du grec στύλος, «
colonne ») sont des ermites des débuts du christianisme, des anachorètes qui
plaçaient leur cellule au sommet d’une ruine, d’une colonnade, d’un portique ou
d’une colonne pour y pratiquer une ascèse extrême. En Orient, Siméon le Stylite
est le plus célèbre d’entre eux.
[3] 2 Pierre 3/16 : «C’est ce qu’il fait dans toutes
les lettres, oĂą il parle de ces choses, dans lesquelles il y a des points
difficiles Ă comprendre, dont les personnes ignorantes et mal affermies tordent
le sens, comme celui des autres Ecritures, pour leur propre ruine».
[4] 2 Tim. 2/4 : « Il n’est pas de soldat qui
s’embarrasse des affaires de la vie, s’il veut plaire à celui qui l’a enrôlé».