Peut-on se fier Ă la "Bible de
Chouraqui" ?
Article de La Trompette
André
Chouraqui était un syncrétiste qui aspirait au dialogue interreligieux, et à la
réconciliation des différentes spiritualités du monde. Dans son ouvrage
"Les Dix Commandements aujourd'hui" (1) il déclare que les
"trois grandes religions abrahamiques", le judaĂŻsme, le christianisme
et l'islam, doivent se reconnaître mutuellement comme "des sœurs au
service d'une même mission" (2). Combien il se serait réjoui, s’il avait
eu connaissance du document Une parole commune entre nous et vous, Ă©mis par
cent trente huit Grands Muftis le 11 octobre 2007(3)et des nombreuses réponses
favorables de personnalités dites chrétiennes ! Ce livre témoigne de sa foi en
la possibilité d'une synthèse de toutes les spiritualités existantes. Selon
Chouraqui, il y avait convergence entre la foi d'Israël et les religions
païennes: "Ce que les Hébreux reçurent par la Révélation au mont Sinaï,
les Grecs le conçurent par le biais de la philosophie", écrit-il (4). Ce
même ouvrage reflète aussi son attachement à l'ésotérisme juif de la Kabbale
(5).
Jusque
dans sa prose, cet artisan du langage était poète. Maîtrisant parfaitement
l'hébreu et le français, il a cherché dans sa traduction de la Bible à faire
goûter au lecteur francophone la saveur particulière de l'hébreu. Nombreux sont
ceux qui apprécient la "Bible de Chouraqui" et se laissent enchanter
par ses nĂ©ologismes jubilatoires. Mais pour le chrĂ©tien qui cherche Ă
s'enraciner dans la Parole de Dieu et Ă se nourrir quotidiennement de cette
Parole, la question est: "Peut-on se fier Ă la Bible de Chouraqui ?"
On
peut être écrivain de talent sans être bon traducteur – et inversement. Une
traduction doit être aussi fidèle que possible, ni plus ni moins. Elle ne doit
rien ajouter, ne rien enlever au texte. Elle n'est en aucun cas un exercice de
créativité, un terrain de jeu pour la subjectivité du traducteur, qui doit
s'effacer lui-mĂŞme au maximum, et transposer, aussi exactement qu'il le peut,
la langue source dans la langue cible. Or Chouraqui n'a pas vraiment traduit la
Bible: il nous en livre une adaptation très personnelle, dans laquelle il donne
constamment libre cours Ă sa crĂ©ativitĂ©, Ă ses convictions personnelles, et Ă
son enthousiasme pour ce qu'il pense ĂŞtre le sens du texte. Cette optique est
déjà contestable quand il s'agit de traduire un article de presse ou un roman;
mais que dire quand l'objet de la traduction est la Parole mĂŞme de Dieu ?
Un
premier reproche qu'on peut faire Ă la "Bible de Chouraqui", c'est
l'omniprésence de la personnalité du "traducteur". Le style est
brillant, constamment étonnant. Si on n’est pas rebuté par les néologismes, on
peut saluer à l'occasion des trouvailles à la fois originales et fidèles au
texte hébreu. Par exemple là où dans le Psaume 23 la plupart des traducteurs
parlent de "la vallée de l'ombre de la mort", Chouraqui emploie un
raccourci, "le val d'ombremort". Mais ce feu d'artifice verbal
continu ne permet plus de distinguer le style d'EsaĂŻe, par exemple, de celui de
Moïse, de Job ou de David: tout devient uniformément "chouraquien"...
Cette
recherche permanente d'originalité rend parfois le texte méconnaissable. Dans
la Bible du Rabbinat français (traduction de Zadok Kahn), le Psaume 119
commence ainsi: "Heureux ceux dont la voie est intègre, qui suivent la Loi
de l'Eternel ! Heureux ceux qui respectent ses statuts, le recherchent de tout
leur cœur." Une telle traduction est très proche des versions les plus
connues des évangéliques. Mais quand Chouraqui "traduit" ces mêmes
versets, cela devient: "En marche, les intègres de la route! Ils vont dans
la tora de IHVH Adonaï! En marche, les détenteurs de ses témoignages!" On
a peine à croire qu'il s'agit du même Psaume… Le "traducteur"
avait-il vraiment pour but de communiquer au lecteur le sens réel de ces
versets, ou cherchait-il simplement Ă se faire plaisir?
Il
est souvent utile de fournir, sous forme de note, la traduction littérale d'un
terme du texte. Mais littéralisme n’est pas forcément fidélité à l’original !
Quand on fait du littéralisme un procédé systématique, une bonne partie du
texte passe à la trappe. Que gagne-t-on réellement à dire que Dieu
"narine" alors que l'expression hébraïque signifie qu'il est en
colère? Dans le Nouveau Testament, le mot "pistis" (la foi) et ses
dérivés sont uniformément rendus par "adhérence", et
"pisteuein" par le verbe "adhérer". Cette nouveauté ne
restitue que partiellement le sens de ces mots grecs. L'expression
"souffle sacré" (nom commun, orthographié avec des minuscules)
est-elle plus juste, plus parlante et plus claire que le terme
"Saint-Esprit"? Le seul gagnant ici semble ĂŞtre le lecteur qui ne
croit pas que le Saint-Esprit soit une Personne divine. En tout cas, un adepte
du "New Age" trouve lĂ son compte.
Certains
termes ont une valeur incantatoire particulière pour Chouraqui. Quand le texte
hébreu emploie une des formes du verbe "yada" (connaître) ou quand le
grec emploie une forme du verbe gnosco (connaître), Chouraqui recourt
systématiquement au mot français "pénétrer". Il est vrai que dans
certains contextes "yada" désigne la relation charnelle entre l'homme
et la femme, mais est-il judicieux de ne retenir que cette acception-lĂ , mĂŞme
si cela fait violence au contexte? "Tu le pénètres, oui, IHVH ton Elohim,
lui l'Elohim…" (Deutéronome 8:9).
Si
l'on prenait au sérieux ces maniérismes de Chouraqui, on en arriverait
facilement à occulter la transcendance de Dieu pour ne plus considérer que son
immanence. On perdrait vite de vue le Seigneur dont nous parle HĂ©breux 7:26:
"saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs, plus élevé que les
cieux…" ou 1 Corinthiens 2:11: "Personne ne connaît les choses de
Dieu, si ce n'est l'Esprit de Dieu." Au lieu de la crainte de Dieu, cette
crainte que le Psalmiste qualifie de "pure" (Psaume 19:10), ou de
l'expression "vous qui craignez Dieu", on ne trouve plus que le
"frémissement", ou "les frémissants". Chouraqui a remplacé
un terme précis par un terme séduisant mais vague, permettant au lecteur de
projeter lui-mĂŞme sur le texte le sens qu'il veut. Une fois de plus Chouraqui
voile la majesté du Dieu Créateur et Rédempteur "qui a fait la terre et la
mer et les cieux et tout ce qui s'y trouve" (Actes 4:24), et présente au
lecteur un dieu anthropomorphisé, un dieu à notre mesure. Ce dieu-là est-il
seulement supérieur à nous? On peut se le demander.
La
"hésèd", la bonté du Dieu qui est à l'origine de l'alliance, devient
uniformément "chérissement", terme qui n'a plus les implications du
mot "grâce". L'homme cesse d'être perçu comme un gracié pour devenir
pratiquement l'égal du Très-Haut. Dieu ne fait plus "miséricorde" au
pécheur, mais il le "matricie", c'est-à -dire le place dans une
matrice. Un tel concept est aux antipodes mĂŞmes des paroles de JĂ©sus sur la
nouvelle naissance dans Jean 3. Au lieu de "miséricorde", on trouve
"matriciement", ou mĂŞme "entrailles matricielles". Ce
"matriciement", cette maternisation gĂ©nĂ©ralisĂ©e plaĂ®t sans doute Ă
ceux qui voudraient se faire spirituellement materner, ou invoquer, comme le
veut une certaine mode, "Dieu notre mère". Elle plaît aussi aux
catholiques qui rendent un culte Ă "Marie, MĂ©diatrice de toutes les
grâces", pour eux "Mère universelle". Mais le lecteur qui se
laisse bercer et habiter par de telles formules ne risque-t-il pas une
perversion subtile et graduelle de la pensée? Ne risque-t-il pas, s'il se
nourrit de telles formules, de passer à côté de l'immensité de la grâce de
Dieu, de la grandeur de la paternité de Dieu, des bénédictions que notre Père
céleste nous accorde en Jésus-Christ? Goûtera-t-il la vraie joie spirituelle
réservée aux graciés devenus enfants de Dieu?
Précisément
parce que la "Bible de Chouraqui" est une œuvre littéraire
séduisante, il faut reconnaître le danger de cette beauté. Il faut prendre
garde à ce poison subtil et diffus qui agit toujours de la même manière, en
rabaissant Dieu et en exaltant l'homme. L'adaptation de Chouraqui occulte le
message biblique sur le cœur humain dévoyé et mort dans le péché: le Pharaon,
par exemple, a "le cœur lourd", et non le coeur endurci. Nous n'avons
pas péché envers Dieu, nous avons seulement "fauté". Hélas, si l'on
on minimise la gravité du péché, on peut passer à côté de la grandeur indicible
de la grâce de Dieu et de la régénération véritable, qui implique une
repentance profonde. Soyons sur nos gardes devant cette séduction de la beauté
littéraire qui s'adresse uniquement à notre sens esthétique, car l'émotion
esthétique est sans doute l'expérience que l'on confond le plus facilement avec
l'adoration authentique, l'adoration en esprit et en vérité.
Avec
un enthousiasme touchant, André Chouraqui parlait de son travail sur la Bible,
de la manière dont il s'investissait dans son œuvre d'écrivain, constamment
"en Ă©tat d'Ă©merveillement", selon sa propre expression. Dans un
reportage télévisé, il a déclaré un jour qu'il allait "mourir de
joie". Combien un tel propos devient tragique dans la bouche d'un homme
qui niait la nécessité de la Rédemption biblique, de la conviction de péché, et
la nouvelle naissance en Christ! Cette célébration de l'ivresse de l'esprit
s'oppose au commandement plusieurs fois réitéré dans la Parole de Dieu, celui
d'être "sobres"; et pas seulement en matière de nourriture, mais
aussi et d'abord dans le domaine des pensées (Voir 1 Timothée 3:2, Tite 2:2,
Tite 2:4, 2 Pierre 1:5,6, Galates 5:23, 1 Corinthiens 9:25). Un vrai traducteur
de la Parole de Dieu peut-il se permettre cette sorte d'ivresse perpétuelle de
la pensée, cet état de transe plus ou moins permanente, qui a de si forts
relents du Nouvel Age avec sa quête des "états modifiés de la
conscience"? Pour traduire la Bible, ne faut-il pas plutĂ´t des linguistes
chrétiens scrupuleux, qui veulent avant toute chose honorer Dieu et ne glorifier
que Lui? N'a-t-on pas plutĂ´t besoin de traducteurs qui connaissent leur
petitesse et leurs limites, recherchent le secours du Saint-Esprit, et se
livrent en toute sobriété à une réflexion profonde pour rendre la pensée divine
avec un maximum de précision et d'exactitude?
Pour
"traduire" le Nouveau Testament, qu'il appelle "Un Pacte
neuf", Chouraqui ne s'attache pas véritablement à transposer en français
l'original grec, mais à nous procurer la version française d'un texte qui n'a
jamais existé que dans son imagination: un "original hébreu" qu'il a
cru pouvoir dĂ©duire de l'original grec. Une fois de plus il accorde une place Ă
l'imagination et à la subjectivité là où elles n'ont strictement rien à faire.
Que cela nous plaise ou non, Dieu a jugé bon de se servir du grec pour nous
donner le Nouveau Testament divinement inspiré.
D'autre
part, Chouraqui ne peut s'empĂŞcher de lire la Parole de Dieu avec ses
"lunettes" de syncrétiste et de panthéiste. Par exemple, dans Jean
1:10, il écrit que Dieu a "engendré l'univers". Une telle traduction
ne relève pas même de la fantaisie: elle est une trahison, car Dieu a engendré
Son Fils unique, mais il a fait l'univers. L'engendrant et l'engendré sont de
nature identique: le Créateur et sa création sont de nature différente. Ce n'est
pas là un détail sans importance ! Passer de "Dieu a crée l'univers"
à "Dieu a engendré l'univers", c'est passer d'une confession de foi
chrétienne à une confession de foi panthéiste.
Remplacer
la recherche patiente et scrupuleuse du sens du texte biblique par une
invitation à introduire nous-mêmes dans le texte le sens qui nous plaît, c'est
en fait nous inviter à abandonner une saine et sainte exégèse pour nous initier
à l'eiségèse, opération qui consiste à importer dans un texte ce que nous
désirons y trouver, que l'auteur l'y ait mis ou non. Quand elle a pour objet la
Bible, l'eiségèse devient blasphème. En cela, Chouraqui n'est-il pas déjà un
post-moderniste, un adepte du subjectivisme déconstructionniste?
La
théologie de Chouraqui nous ramène au mensonge murmuré par le serpent dans le
jardin d'Eden : elle nous dit que l'homme naturel est comme Dieu, et que par
lui-même il est un avec Dieu. Son Iéshoua est peut être un modèle, ou un maître
spirituel au sens où ce monde l’entend, mais il ne peut en aucun cas être le
Sauveur des Ă©lus selon la Bible.
Malheur
à nous si nous croyons avoir la liberté de manipuler en quoi que ce soit la
Parole Ă©ternelle de Dieu. "Vous n'ajouterez rien Ă ce que je vous
prescris, et vous n'en retrancherez rien" (Deut. 4:2).
"N'ajoute
rien à ses paroles, de peur qu'il ne te reprenne et que tu ne sois trouvé
menteur" (Prov. 30:6).
"Je
le déclare à quiconque entend les paroles de la prophétie de ce livre: si
quelqu'un y ajoute quelque chose, Dieu le frappera des fléaux décrits dans ce
livre, et si quelqu'un retranche quelque chose des paroles du livre de cette
prophétie, Dieu retranchera sa part de l'arbre de la vie et de la ville sainte,
décrits dans ce livre" (Apocalypse 22:18,19).
Source : www.latrompette.net
Notes
1.
André Chouraqui, Les Dix Commandements aujourd'hui, Editions Robert Laffont,
2000.
2.
Les Dix Commandements aujourd'hui, p. 17.
3.
Une parole commune entre nous et vous, appel à la paix et à l’entente
fraternelle entre musulmans, juifs, et chrétiens. Le texte de ce document est
disponible en français (et en d’autres langues) à l’adresse :
http://www.acommonword.com/index.php?lang=en&page=downloads
Voir les réponses des leaders dits chrétiens à l’adresse :
http://www.acommonword.com/index.php?lang=en&page=responses
4.
Les Dix Commandements aujourd'hui, p. 85.5. Les Dix Commandements aujourd'hui,
p. 58.