Par Roy Hessein
VII- LA PAILLE ET LA POUTRE
Notre ami a quelque chose
dans l'oeil ! Bien que ce soit quelque chose de minuscule -Jésus l'appelle une
paille- combien cela n'est-il pas douloureux et combien il importe de l'en
débarrasser au plus vite ! C'est certainement notre rôle d'ami de faire tout
pour l'enlever et il nous en sera des plus reconnaissants. Et, nous aussi, nous
devrions lui savoir gré de nous rendre le même service.
Il semble donc
bien que le passage de Mat. 7, 3-5 ne nous interdise pas de chercher à corriger
la faute de notre prochain ; au contraire, il suggère que nous devons nous y
employer ; et cela à n'importe quel prix. Il est vrai que l'accent repose avant
tout sur la condamnation de l'esprit de jugement, mais, une fois que cet esprit
est écarté, le passage se termine par :
« Alors, tu
verras comment ôter la paille de
l'oeil de ton frère » (Trad. littérale.: « tu verras clairement » ou « tu
examineras » (note trad.).
Selon le
Nouveau Testament, nous devons donc avoir un tel amour pour notre frère qu'il
nous faut être prêts à faire n'importe quoi pour enlever de son oeil la paille qui trouble sa vue et l'empêche d'être
béni. Il nous est dit de nous « reprendre les uns les autres », de nous «
exhorter les uns les autres », de nous « exciter à la charité et aux bonnes
œuvres », enfin de nous « laver les pieds les uns des autres ». L'amour de
Jésus répandu en nous nous pousse à venir au secours de notre frère.
Quelle
bénédiction pour beaucoup, si nous acceptions de reprendre et d'exhorter nos
frères en toute humilité, comme Dieu nous l'inspire ! On raconte qu'un certain
Nicolas, de Bâle, se rendit jusqu'à Strasbourg pour y rencontrer le Dr. Tauler, alors prédicateur de
renom dans cette ville. Quand il l'eut trouvé, il lui dit humblement : «
Docteur, avant que vous puissiez accomplir une grande oeuvre pour Dieu, pour
cette ville et le monde, il faut que vous mouriez à vous-même, à vos dons, Ã
votre réputation et même à votre bonté... Lorsque vous aurez pleinement saisi
le sens de la Croix, vous aurez une nouvelle puissance auprès de Dieu et des
hommes ». Cette humble exhortation de la part d'un chrétien obscur et caché
transforma la vie de Tauler ; il apprit effectivement à mourir et devint, entre
les mains de Dieu, un des plus puissants instruments qui préparèrent la voie Ã
Luther et à la Réforme.
Qu'est-ce
que la poutre ?
Tout d'abord,
Jésus nous explique qu'il n'est que trop facile d'enlever la paille, le petit
grain de l'oeil de notre frère -le mot grec original signifie également une
petite parcelle de sciure lorsqu'il y a dans le nôtre une poutre, c'est-à -dire
un très gros morceau de bois. Si tel est le cas, nous ne saurions procéder Ã
l'extraction de la paille chez
l'autre, car notre propre vue est obscurcie ; ce serait donc de la pure
hypocrisie.
Nous savons
tous ce que signifie cette paille dans
l'oeil de notre prochain : c'est une faute que nous croyons discerner en lui ;
il se peut qu'il s'agisse d'un acte ou d'une attitude adopté à notre égard.
Mais qu'est-ce que Jésus entendait par la poutre dans notre oeil ? Et si elle n'était
pas autre chose que notre réaction peu charitable à la paille de l'autre ? Sans doute, ce dernier a
des torts, mais notre manière de réagir est aussi un tort. La paille de son oeil a provoqué en nous un
ressentiment, une critique, de l'amertume ou de la mauvaise volonté -autant de
variantes de la faute initiale : le manque d'amour. Et cela, nous dit le
Seigneur, est infiniment pire que le tort minime qui l'a provoqué. La
différence est la même qu'entre un grain de sciure et une poutre.
Chaque fois
que nous montrons du doigt notre frère en disant : « C'est sa faute », trois
autres doigts de notre main sont dirigés contre nous, en signe d'accusation.
Que Dieu nous pardonne les très nombreuses fois où, dans notre hypocrisie, nous
avons voulu reprendre notre frère, sans nous rendre compte de l'énormité de
notre propre faute.
Ne croyons pas,
cependant, que la poutre soit
nécessairement une réaction violente de notre part. Non, un début de
ressentiment est une poutre, tout comme la première lueur d'une pensée mauvaise
ou l'ombre d'une critique naissante. Ces éléments déforment notre vision et
nous ne pouvons plus voir notre frère tel qu'il est, un bien-aimé de Dieu. Si
donc nous lui parlons avec un tel obstacle dans notre coeur, cela ne fera que
provoquer chez lui la même attitude dure, selon le principe humain qu'on nous «
mesurera de la mesure avec laquelle nous aurons mesuré ».
Déposons
la poutre au Calvaire
Non ! « Ote
premièrement la poutre de ton œil
». Voilà la première chose à faire : reconnaître notre réaction peu charitable
comme un péché. Puis aller à genoux au Calvaire, y contempler Jésus et voir ce
que ce péché lui a coûté. Il nous faut nous repentir à ses pieds, être brisés
tout à nouveau et accepter par la foi la purification par son sang, lui
demander qu'il nous remplisse de son amour pour l'intéressé, selon sa promesse.
Ensuite, notre devoir consistera très probablement à aller trouver notre frère
dans une attitude de repentance, lui demandant pardon pour le péché qui a
obstrué notre coeur, en témoignant de sa purification par le sang de Christ.
Certains objecteront -et peut-être serons-nous tentés d'objecter nous-mêmes-
que le péché que nous confessons est bien inférieur à celui de l'autre, qu'il
ne confesse pas encore. Mais nous sommes allés au Calvaire, nous y avons vu
notre péché et nous ne pouvons plus comparer ce dernier avec celui de quelqu'un
d'autre.
Après avoir
ainsi débarrassé notre oeil de la poutre, nous « voyons clairement » comment
procéder à l'extraction de la paille chez notre frère. A ce moment, Dieu
déversera sur lui et sur nous une lumière inconnue jusqu'ici ; peut-être
verrons-nous même que cette fameuse brindille n'était qu'une illusion, ou
encore une projection de ce qui entravait notre propre vue. Mais il se peut
aussi que Dieu nous révèle au sujet de notre frère des choses cachées dont il
n'avait pas conscience. Alors, sous la direction de l'Esprit, nous les lui
montrerons humblement, afin qu'il puisse les voir lui-même et les apporter à la
Source qui coule encore pour le péché, pour en être délivré. Il est fort
probable qu'il nous laisse faire et, s'il est humble, il nous en saura gré; il
verra qu'il n'y a pas de motif égoïste en
nous, mais seulement de l'amour et de l'intérêt pour lui.
Si Dieu nous conduit à reprendre quelqu'un, ne nous
laissons pas arrêter par la crainte. Ne cherchons pas non plus à imposer notre
point de vue à tout prix ; disons simplement ce que Dieu nous met à coeur et
laissons-Le faire le reste. C'est son oeuvre et non la nôtre. Il faut du temps
pour courber un cou raide. Et, lorsqu'Ã notre tour nous sommes repris, ne nous
défendons pas et ne nous expliquons pas. Acceptons en silence, en remerciant
celui qui nous reprend ; puis demandons à Dieu qu'il nous éclaire et, si notre
ami a raison, soyons assez humbles pour le lui dire et louer Dieu ensemble.
Nous avons grandement besoin les uns des autres ; il y a dans notre vie des
points noirs que nous ne verrons jamais si nous ne permettons pas à Dieu
d'employer nos frères comme des instruments pour nous éclairer.
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