Article de GĂ©rald Fruhinsholz
«
La Bible… est un livre juif. On ne peut
la lire ou l’expliquer si on n’est pas prêts à devenir juif parmi les Juifs
» Karl Barth.
«
Ton peuple sera mon peuple… ton Dieu sera
mon Dieu » - Ruth 1 :16
La
question est lĂ qui doit nous interpeller, nous sonder, nous placer devant un
choix. On pourrait finalement intituler ce message : « Juifs et Chrétiens,
frères ennemis ? »… Car en fait, si le judaïsme et le christianisme sont deux
religions distinctes, cela signifie que les Juifs et les chrétiens seraient des
« frères ennemis ». En effet, n’avons-nous pas le même Père ?... Ne lisons-nous
pas la même Bible, et notre foi n’est-elle pas fondée sur la même base scripturaire
que les Apôtres du temps de Jésus ?... Ces derniers n’avaient en effet comme
seules Ecritures, l’AT.
Prenons
une autre image. Au départ, les chrétiens représentaient « une secte juive ».
Secte vient du latin secare qui veut dire couper. Les chrétiens étaient issus
du judaïsme mais coupés, séparés. Or n’est-il pas vrai que le mot « religion »
signifie rĂ©unir – religare en latin ? Donc si nous sommes unis ou reliĂ©s Ă
D.ieu en tant qu’enfants de Dieu, comment expliquer que le judaïsme est aussi «
relié » à D.ieu ?... Devons-nous vivre « écartelés » ?
Schizophrénie spirituelle
VoilĂ
le problème de l’Eglise d’aujourd’hui : elle vit une sorte de schizophrénie
spirituelle. En tant que chrétiens, nous réalisons que nous sommes distincts du
peuple juif et du judaïsme, mais nous savons intuitivement (c’est aussi une
réalité objective) que nous sommes de la même racine, celle des patriarches
Abraham, Isaac et Jacob. L’apôtre Paul (Romains 11) donne une superbe image de
l’olivier sur lequel les chrétiens sont greffés, « au milieu des branches »
d’Israël (1). Nous bénéficions donc de la même sève et de la même racine !
C’est
alors que je reçus récemment les propos d’un ami chrétien de France. J’avais
citĂ© dans une lettre un texte d’EsaĂŻe Ă propos de « la vengeance de D.ieu » Ă
l’égard des nations et de Sa consolation envers Son peuple Israël, appelés dans
le texte « les affligés de Sion ». (Esaïe 61) : « L'Esprit du Seigneur,
l'Eternel, est sur moi... pour
publier... un jour de vengeance de notre Dieu ; pour consoler tous les affligés
; pour accorder aux affligés de Sion, pour leur donner un diadème au lieu de la
cendre, une huile de joie au lieu du deuil, un vĂŞtement de louange au lieu d'un
esprit abattu, afin qu'on les appelle des térébinthes de la justice, une plantation
de l'Eternel, pour servir à SA gloire » - Esaïe 61
Dans
ce texte d’Esaïe, nous avons les 3 premiers versets cités par Jésus en Luc 4,
évoquant « l’année de grâce de l’Eternel ». Et nous savons que cette phrase
n’est pas terminée, elle se poursuit : « … et un jour de vengeance de notre
D.ieu ». Selon le prophète, ce temps concerne les derniers temps – le temps de
la consolation d’Israël notamment et de la vengeance envers les nations.
La
réponse de « notre ami » me choqua : « Je me refuse à utiliser les textes de
l'AT pour autre chose qu'un Ă©clairage du NT et de ce que nous dit et nous
demande le Christ », dit-il.
Cette
réflexion abrupte signifie que nous aurions 2 textes ou 2 bases scripturaires –
l’Ancien Testament (AT) et le Nouveau Testament (NT) – et que le NT primerait
sur l’AT. C’est normal, dirons certains, puisque le NT représente « la Nouvelle
alliance ». Mais devons-nous pour cela, affirmer que l’AT - la Torah, les
Psaumes et les Prophètes – sont caduques, et ne seraient que vieilleries dépassées
?... - Bien sûr que non - « Loin de là », écrira Paul. Jésus n’a-t-il pas dit
qu’Il n’enlèverait aucun « yod » de la Loi (2) ? La plus petite lettre a en
effet son importance et « l’AT » est encore la Parole de Dieu pour hier,
aujourd’hui et demain. Elle est l’Alliance de D.ieu pour Israël et pour
l’humanité. Au lieu d’être écartelés entre la Torah et la Nouvelle Alliance,
croyons que D.ieu a conclu avec l’homme UNE Alliance (brit e’had) et que cette
Alliance ne change pas, car elle est Ă©ternelle.
Dans
la pensée chrétienne, la Parole dit que Jésus est le début et la fin, « l’alpha
et l’Omega » (Apo 22:13). Le Seigneur de gloire était présent à la création du
monde, Il a inspiré les écrivains qui ont écrit la Bible toute entière, et rien
ne peut être ajouté ou soustrait (Apo 22 :18-19) à ce qui nous a été légué.
Nous connaissons l’épisode des pèlerins d’Emmaüs – Jésus parla à ces croyants,
leur disant : « Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur
expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait » - Luc 24:27. « Les
Ecritures » représentent l’AT et elles ne sont pas caduques, elles sont la clé
pour comprendre le projet de D.ieu.
La
reconnaissance de cette réalité biblique implique donc des « décisions de foi
». Si je ne veux pas continuer à être perturbé dans ma foi, à savoir comment
appréhender la réalité et la vérité permanente de la Loi vétérotestamentaire
(AT) en sachant que je suis aussi dans la nouvelle Alliance (« né de nouveau en
Jésus »), je dois accepter certains paramètres. Cela signifie que je crois que
:
-
le peuple juif et Israël en général possède (ad olam, pour toujours) une place
dans le plan divin. Ainsi, l’Eglise ne peut pas ni ne doit se couper d’Israël,
mais au contraire l’aimer et les respecter comme le frère aîné ;
- les prophéties ne sont pas encore toutes
accomplies, et elles intéressent les chrétiens au plus haut point ;
- l’Eglise a subi une influence majeure depuis
le tout début de son existence. En se coupant d’Israël, elle perd son identité,
en adoptant le point de vue des nations et en subissant notamment l’influence
de la philosophie grecque ;
- le judaĂŻsme et le christianisme ne sont pas
antinomiques (qui s’excluraient). Jésus, Paul et les apôtres pratiquaient le
judaïsme, venaient au Temple, priaient trois fois par jour ; ils n’ont pas
rompu avec le judaïsme. Ainsi le christianisme n’est pas une religion nouvelle,
mais une foi renouvelée issue de la foi juive.
Influences du paganisme
A
partir du roi Constantin, on assista à l’entrée du paganisme dans l’Eglise,
Constantin n’étant pas chrétien. Il se serait converti tardivement et baptisé
alors qu’il était mourant. Dans l’Église primitive, Henry Chadwick (3) a dit de
lui : « Comme son père, Constantin adorait le Soleil invaincu ; (...) on ne doit
pas voir dans sa conversion un effet de la grâce (...), mais le calcul d’un
chef militaire. Sa compréhension de la doctrine chrétienne ne fut jamais très
claire. Néanmoins, il était sûr d’une chose : la victoire au combat était un
don du Dieu des chrétiens ».
Pour
apporter la paix à l’Empire, l’Empereur Constantin donna un statut officiel au
Christianisme. Il déclara le Christianisme comme religion d’Etat, forçant les
païens à se baptiser. Constantin savait qu’il lui fallait unir le paganisme et
le Christianisme. L’église romaine était corrompue par les païens “convertis”
devant être pacifiés ; la solution trouvée fut la « christianisation » des
idoles. Ainsi, les religions babyloniennes furent-elles introduites par
Constantin vers 313 (cf Concile de Nicée en 325). Constantin et l’Eglise
romaine corrompirent le Christianisme afin de le rendre plus acceptable aux
paĂŻens convertis par la force.
Les
Fêtes païennes furent renommées « Fêtes chrétiennes ». En 375, l’Eglise de Rome
sous le Pape Julius I annonça simplement que la date de naissance du Christ fut
“découverte” comme étant le 25 décembre ; cela fut accepté comme telle par les
“fidèles”. Le festival de Saturnalia et l’anniversaire de Mithra pouvaient
dorénavant être célébrés en tant que l’anniversaire du Christ ! (A. Weigall,
affirmait en 1928 : "Pendant trois siècles et demi, le plus puissant rival
du christianisme fut la religion connue sous le nom de mithriacisme (…). Une
grande partie de sa doctrine et de ses rites fut adoptée par l’Eglise ; ainsi
fut-elle pratiquement absorbée par sa rivale" (The Paganism in our
Christianity).
Quant
aux statues, la nudité païenne fut couverte avec le costume d’une Christianité
déformée. Les coutumes païennes impliquant vêtements, chandelles, encens,
images, et processions furent toutes incorporées dans l’adoration de l’Eglise,
se poursuivant jusqu’aux nos jours. Les rituels païens et idoles prirent des
noms chrétiens (ex. : Jésus-Christ était présenté comme le soleil de la
divinité remplaçant le Dieu du soleil Sol Invictus).
Les
fausses doctrines dès les premiers temps : durant les trois siècles de l'Ere
chrétienne, l'Eglise chrétienne conserva sa pureté. Elle subit d'incessantes
persécutions ; les chrétiens furent jetés aux lions dans les arènes de Rome,
plusieurs furent brûlé vifs, comme torches vivantes, d'autres se firent
Ă©carteler vivants ou arracher les yeux. Cependant ils demeurèrent fidèles Ă
leur foi chrétienne jusqu'à la mort. Lorsque le diable vit qu'il n'atteignait
pas ses objectifs par la persécution, il tenta de détruire l'Eglise par la
corruption interne. C’est ainsi qu’au 4e siècle, après la conversion de
Constantin, les grands changements eurent lieu dans l'Eglise chrétienne :
- L'adoration des saints fut incorporée
prenant ainsi la place des dieux du paganisme,
- Marie, la mère de Jésus, fut élevée pour
prendre la place des déesses féminines du paganisme,
- Les fêtes païennes furent transformées en
fêtes chrétiennes et en jours sacrés,
- Le sacrifice de la messe fut développé et
remplaça le souper de la « cène »,
- La doctrine des peines Ă©ternelles et de
l'immortalité naturelle de l'âme fut introduite dans l'Eglise pour mieux
soumettre l'Ă©glise,
- L'observation du dimanche se répandit dans
le reste du christianisme. En fait, c'est le roi Constantin qui passa la
première loi civile du dimanche par laquelle il déclara que tous devaient se
reposer au jour du soleil.
Premières conclusions
L’Eglise
s’est revêtue de haillons, s’étant dépouillée de ses habits juifs, et devenant
par le mélange du paganisme, une « prostituée ». Jésus n’a jamais cessé d’être
juif, il est né juif et mort juif…. Et comme Jésus l’a affirmé à une
Samaritaine, « le salut vient des Juifs » (Jn 4:22).
En
conclusion, sans être honteux d’être appelés « chrétiens » (nous faisons partie
que nous le voulions ou non du Corps de Christ), recherchons la vraie
signification (« disciple de Christ » serait plus juste), et quel lien
avons-nous avec le judaïsme biblique. Démarquons-nous de l’esprit babylonien et
religieux qui habite souvent la Chrétienté, et recherchons nos racines
hébraïques. En somme, mettons en pratique « la Loi » qui se résume en deux : 1)
Aime le Seigneur l’Eternel de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute force
et de toute ta pensée, et 2) aime ton prochain comme toi-même » (Luc 10:27)….
Et « tous verront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns
pour les autres » (Jn 13:35).
1.
De nombreuses traductions traduisent hélas « à la place de ». Une telle
formulation peut donner l’idée que l’Eglise a remplacé Israël…
2.
Jésus parlait évidemment de la Torah (traduit par « Loi). Or, la Torah est
l’enseignement de Dieu, littéralement. Il n’y a rien de mauvais dans
l’enseignement divin - au contraire, cet « enseignement » nous fait vivre.
3.
Henry Chadwick (1920-2008) Ă©tait un pasteur et un universitaire anglais,
éminent historien de l'Église primitive.
(Article
paru dans le "Sonnez la trompette" n° 97 – sept 2012)
Source :
http://preparezlechemin.over-blog.com