Par Freddy Eytan – Centre des Affaires
publiques et de l’Etat d’Israël – 08/04/2013
Le mouvement sioniste existait depuis
Theodore Herzl mais c’est la Shoah qui a rendu la création d’Israël urgente,
obligatoire, vitale et immanente. La création de l’Etat juif est le triomphe de
la vie sur la mort, la victoire des prières entendues. Juste après la guerre,
les Européens, encore troublés et culpabilisés, ont préféré tourner la page
furtivement. Le Vatican a fermé ses archives. Les portes du souvenir ont été
bouclées à double tour. Personne n’osait franchir les murs d’acier et vérifier
les arcanes du monde de l’indifférence, remuer un passé flou et douteux.
Derrière le rideau de fer, les camps de la mort résonnaient encore des
cris des âmes pures et innocentes. Les cendres de nos proches, de nos
coreligionnaires, ont été absorbées, englouties dans le sol européen. Les
années sombres ont plongé les survivants de la guerre dans la honte et la
réflexion pragmatique, matérielle. L’Europe meurtrie et ruinée par la guerre
était surtout préoccupée par sa reconstruction, par le plan Marshall et par la
réconciliation avec la nouvelle Allemagne du chancelier Adenauer. Le procès de
Nuremberg, les condamnations des crimes de guerre et l’emprisonnement des nazis
ont fermé la page, le lourd dossier. Le passé était déjà “lointain” et pour
certains “mort et enterré”. Les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki par
l’arme atomique ont éclipsé les atrocités de la Shoah.
L’Europe
rougit de honte et souillée de sang de la guerre devait d’abord se bâtir sur
les ruines des camps de concentration et des champs de bataille, et s’unir pour
retrouver la paix et la sécurité. La Shoah des Juifs n’était qu’un “épisode de
la guerre” et demeurait pour certains ” l’affaire des Juifs”…
Depuis
le procès d’Adolf Eichmann, le monde s’est réveillé de sa torpeur, de son
indifférence dormante. Des bibliothèques ont été écrites sur l’holocauste
des Juifs durant la Deuxième Guerre mondiale. D’innombrables ouvrages, des
documents historiques, des films documentaires et des longs métrages, des
albums individuels et collectifs ont raconté avec émotion cette grande
catastrophe de l’histoire contemporaine devenue tristement célèbre. Des
chercheurs se sont attelés avec acharnement à découvrir la vérité et
des instituts ont été fondés pour la mémoire de la Shoah en Europe, en
Amérique et au Japon. La chasse contre les anciens nazis a
été lancée tous azimuts.
Certes,
presque tout a été dit et raconté sur la Shoah, et publié avec
l’appui de preuves et de documents irréfutables, et pourtant, 70 ans après le
déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, on demeure perplexe face
à l’hécatombe. Les grands comme les petits s’interrogent
toujours, posent des questions et se demandent comment cela a pu ĂŞtre
imaginé, planifié et exécuté? Pourquoi cette haine féroce contre tout un
peuple? Pourquoi la barque de l’humanité a-t-elle brusquement sombré
en Europe? Comment la dignité et les droits de l’homme ont-ils été bafoués
au XXe siècle? Pourquoi cette collaboration avec Satan?
Pourquoi le Vatican et de nombreuses nations ont gardé le silence et ont
laissé faire? Pourquoi Dieu miséricorde était absent? Ou était-il
à Auschwitz-Birkenau? Pourquoi s’est-il caché? Pourquoi le Roi de
l’univers, notre Créateur, a préféré garder le silence? Pourquoi les
Juifs et le monde libre n’ont pas sonné, avec force, le cri d’alarme? Ne se
sont-ils pas révoltés en masse et à temps? N’ont-ils pas refusé la
servitude! L’Esclavage! Plus d’un million et demi d’enfants, dont le seul
crime était d’être né de parents juifs, ont été massacrés durant
cette guerre. Pourquoi avoir arraché des bébés de leurs berceaux et les avoir
jeté par milliers dans la gueule des fours crématoires, dans les flambées du
diable? Pourquoi avoir enlevé par la force bestiale un enfant des bras de sa
mère et l’envoyer dans les feux de l’enfer? Qu’a-t-il fait? Quel crime a-t-il
commis? Au nom de quelle justice? De quelle loi? A titre de quelle mission? Au
nom de quoi, de quelle doctrine, les bourreaux ont-ils agi?
Aucune
explication raisonnable à l’antisémitisme, rien n’explique la Shoah.
L’aveuglement des régimes, la passivité administrative et diplomatique,
l’esprit de Munich ont contribué à l’abandon des Juifs et des
victimes.
Comment
des dizaines de milliers d’adolescents, fébriles et innocents, portant des
pyjamas rayés marqués par une étoile jaune, ont-ils vécu ces moments
terribles avant de partir dans les trains de la mort, dans les wagons
bestiaux de l’enfer? Qui sont ces enfants cachés qui ont
échappé à l’abattoir, au massacre? Qui sont les Justes des nations,
chrétiens, musulmans, agnostiques et athées, qui ont réussi à sauver de
nombreuses vies humaines y compris au Japon, allié d’Hitler? Les questions
sont nombreuses et certaines demeurent sans réponses. Notre devoir est de
répondre aux jeunes, à toute une jeunesse assoiffée de connaissance
et qui aspire à vivre en paix et en sécurité. Nous devons enseigner aux
jeunes l’horreur des atrocités et les crimes commis d’une monstruosité
inouïe. C’est notre devoir civique.
La
singularité de la Shoah se distingue non seulement par la dimension quantitative
du massacre que dans la désignation des victimes. Des hommes, des femmes et des
enfants ont été marqués de l’étoile jaune, déclarés publiquement coupables
puis exterminés simplement parce qu’ils étaient nés Juifs.
On
assiste aujourd’hui encore à une banalisation de la Shoah. Le mot
“holocauste” est devenu trivial, et il est prononcé trop souvent pour
définir toutes sortes de situations dramatiques ou catastrophes. Le fléau de
l’antisémitisme existe toujours sous différentes formes. Certains groupes et
mouvements démentent publiquement la Shoah dans des articles et des tribunes y
compris en Allemagne. D’autres, en France, évoquent un “détail” durant la
Guerre. Des dirigeants de grands peuples, membres de l’ONU, lancent des appels
à la destruction de l’Etat juif. Des écrivains, des intellectuels et des
évêques intégristes contestent la véracité de la Shoah. Des leaders religieux
incitent à la haine du Juif et au culte de la mort. Lors des crises financières
et économiques mondiales, les antisémites se réveillent et relancent leur vague
de haine contre “ceux qui détiennent le pouvoir de l’argent, les banques et les
bourses”. Aujourd’hui encore, en 2013, les Juifs sont toujours sur la
sellette, susceptibles d’être désignés comme les boucs émissaires. Nombreux
sont ceux en Europe à penser que la crise financière est la faute des
Juifs? Pourquoi?!
Nier
le passé des peuples c’est nier la vérité. Tout ce qui concerne la Shoah
est un devoir sacré. Il a pour but de préserver l’identité de millions
d’êtres humains tués sauvagement par des hommes sanguinaires. Nous représentons
fidèlement leur héritage et leurs noms. Nous sommes, respectueusement,
les fils et les filles, leurs portes-parole, leurs voix, leurs multiples Ă©chos,
et leurs tombeaux vivants.
Le
syndrome de la Shoah nous hante toujours car les menaces sont omniprésentes.
Dans les moments où Israël regardait la mort en face, dans les
circonstances terribles que nous avons vécues, avant la guerre des Six Jours en
1967, durant la guerre du Kippour en 1973, pendant la Première guerre du
Golfe et face à la menace nucléaire de l’Iran, les images de la Shoah
resurgissent toujours. Le monde devrait être plus compréhensible à nos
souffrances et aux malheurs de notre douloureux passé. Certes, nous réfutons la
pitié et le peuple israélien n’est pas malheureux et il se défendra seul pour
son existence, mais Ă chaque menace, devant chaque guerre, nous vivons toujours
dans l’angoisse du syndrome de la Shoah. Notre pays se transforme en un ghetto
assiégé et nos frontières en celles des barrières d’Auschwitz. Le repli sur
nous-mêmes, nos opinions intransigeantes pour notre défense et
notre sécurité sont des phénomènes naturels et devraient être pris en
considération dans toutes les négociations de paix avec nos voisins arabes.
Cependant,
en dépit de la barbarie de la Shoah, le peuple israélien a réussi à garder un
visage humain. Sa justice implacable est toujours imprégnée par une morale
universelle, celles des valeurs de la Bible et du JudaĂŻsme. La Shoah ne devrait
pas non plus servir de prétexte, une raison alléguée pour dissimuler les
problèmes et les conflits, une sorte d’alibi pour ne pas éprouver la
solidarité, l’empathie envers les malheurs des autres et notamment nos
voisins. Les fils et les filles des survivants de la Shoah sont toujours
capables de faire des concessions douloureuses pour aboutir Ă une paix juste et
sincère. La force de notre peuple est de pouvoir, dans la douleur et la
souffrance, demeurer généreux, prier pour le bonheur de tous sans distinction
et poursuivre le chemin de la paix et de la justice contre vents et
marées. Il est très important aussi de ne pas faire l’amalgame entre une
campagne qui dénonce la politique israélienne dans les territoires et
l’antisémitisme. Il est légitime de critiquer telle ou telle politique
gouvernementale. Des pays européens amis, tels que la France, la Grande
Bretagne ou l’Allemagne ne sont pas aujourd’hui des pays antisémites, mais il
existe hélas dans ces pays des antisémites et des négationnistes notoires que nous
devons ensemble combattre.
L’Europe
qui a été, en juillet 1938, indifférente au sort des réfugiés juifs
rescapés de l’Anschluss devrait prendre plus au sérieux le fléau du
négationnisme. Bien que des lois aient été adoptées, seules des sanctions
sévères, une vigilance sans relâche et surtout un programme éducatif
à tous les niveaux pourront mettre un terme au négationnisme, à la
renaissance de l’antisémitisme et aux nouvelles menaces.
L’ancrage
de la morale et notre mémoire rendent hommage aux victimes, pour ne jamais
oublier! Mettre un terme définitif à la lâcheté, à la barbarie!
Au génocide! Pour ne plus que cela ne recommence! Plus jamais ça!
Freddy
Eytan est l’auteur de La Shoah expliquée aux jeunes (Editions Alphée)
@Israël Flash
http://jcpa-lecape.org/la-shoah-expliquee-aux-jeunes-de-12-a-60-ans-freddy-eytan/
Source : www.lespoir.fr